Château-Rouge,
début des années 2000. Ma dernière période d'insouciance. Rue des
Poissonniers, comme dans l'Assommoir. Je vivais sous les toits dans
un petit appartement auquel on accédait par un escalier en métal,
comme à New-York. Le type qui me l'avait loué était habillé en
cow-boy de pied en cap, et me disait "Vous savez, les noirs, ils
sont comme ça, ils ne paient jamais leur loyer, ils envoient de
l'argent au pays".
La
sortie du métro et les boîtes de subutex qui jonchaient le sol, le
car de CRS en permanence, la cohue du marché Dejean, je m'accomodais
de tout, c'était dans l'ordre des choses, je continuais mes errances
dans les quartiers populaires, pittoresques, dangeureux, au choix.
Le
petit immeuble était peuplé de gentils marginaux, ma voisine d'en
face était une bourgeoise en rupture de ban, et me parlait sans
arrêt de la douceur de vie cubaine, mon voisin du dessous mixait de
la techno jour et nuit, à tel point que mon lit vibrait, un soir
folle de rage j'ai frappé à sa porte pour lui retourner deux
claques. Un autre était un acteur raté qui tenait le rôle du barde
au Parc Astérix, il était le seul à avoir des problémes dans le
quartier, car il faisait monter régulièrement des toxs chez lui,
qui repartaient avec sa télé ou sa machine à fax en plus des 30
euros gagnés pour leurs services.
Je
ne me sentais pas exclue, ma vie diurne était banale, mais je
passais mes nuits dans les bistrots, j'avais de nombreux amants et
certains passaient me voir par gentillesse ou pour que je leur
prépare à manger, ça me dérangeait moins que la solitude.
Et
puis ma voisine d'en face est partie, entre temps j'avais repeint mon
minuscule salon en rouge Garance, prénom que je songeais donner à
ma fille, car j'étais sûre que l'embryon qui me donnait des nausées
serait une fille.
Le
quartier changeait, deux homosexuels venaient de s'installer en face
et repeignaient frénétiquement leur appart en blanc du sol au
plafond, entre deux crottes de leur bouledogue anglais. Ils prenaient
une mine dégoûtée à la vue de mon salon rouge et de mon ventre
qui commençait à poindre : "Alors comme ça vous êtes
enceinte?"
Enceinte,
il me fallait fuir Château-Rouge.
Ma
dernière période d'insouciance.
Blanche
Dubois
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