dimanche 28 juillet 2013

UN AMOUR DE PORC



Elle offrait des tas de cadeaux, monts et merveilles, baisait à grands dons, soumise et à genoux. Non pas qu'elle aimait donner : mascara dégoulinant, la peau pâle, Circée moderne, elle désirait retenir tous les hommes dans son île à l'amour, qui n'était qu'un amour de porc.

Paul Jullien


mercredi 24 juillet 2013

BIENTȎT ENTRE VOS MAINS



J'espère pouvoir sortir le numéro 0 de Revue Métèque début novembre. 

Merci aux contributeurs.

Jean-François dalle

mardi 23 juillet 2013

THE DOG IS DEAD



« Le chien est mort, le chien est mort,
Mais il mord encore… »

SPANISH HARLEM, 1991

- Toc toc toc, j’ai fait sur la porte dégueulasse.
- Whozzat ?
- It’s Paris.
Paris, ici, c’est mon nom. Forcément : je suis parisien. Ils n’ont pas été chercher bien loin. De toute façon, ils ne vont jamais rien chercher bien loin. Dans le quartier, tout est à portée de main.
Oscar m’a ouvert : « Whassup ? ». Comme si j’avais quelque chose de nouveau à raconter. « Whassup, je suis en manque ? ». « Whassup, j’ai pécho au Bronx ? ». « Et toi, whassup, connard ? » Cet enculé avait encore sa pompe dans le bras. En guise de réponse, je lui ai donné une thune.
Welcome dans la maison Tout à un dol, n’aie pas peur, entre, fais comme chez toi. Se droguer, dormir, entreposer ses affaires, zoner en attendant que la neige cesse de tomber : un dollar par jour, et par truc, un dollar, on t’a dit. Simple. Facile à retenir. Ils ne vont jamais rien chercher bien loin…
Il y a tellement de tox sans abris sur la 110ème, qu’y avoir un logement, c’est déjà un statut, une réussite, une petite entreprise en soi.
Celle-ci est tenue par Tata, la tante d’Oscar, une métisse à grande gueule décharnée, une intarissable pythie tragicomique et sans âge, s’exprimant dans un argot abscons pour moi, Paris, né à Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine – ils lui disent tous, en se bidonnant, arrête de lui parler comme ça, il y comprend rien, et ils ont raison, ça a l’air bien rigolo, mais je n’y comprends pas grand-chose, à ce qu’elle me raconte, Tata…
Quand je reste dormir, un dollar la nuit on t’a dit, c’est dans son pieu que je dors. Le titi, le parigo, à côté de Tata. Comme des amoureux. Ca les fait bien marrer, les autres. « T’as pas peur ? » qu’ils demandent. Un soir elle m’a glissé, toi, tu regardes tout, et un jour, tu raconteras. Pour une fois, j’ai compris ce qu’elle me disait. Alors voilà :
Tata est totalement accro à la coke, qu’elle cuisine - quand elle en a la patience - pour la fumer en cailloux. Ca tombe bien : de la coke, il s’en vend juste en bas de la cité, aux alentours du bac à sable. Cinq dollars le paquet. Caché dans la couche culotte des petits, qui jouent, sous le regard avisé des vendeurs, même pas grands frères, et pas rigolos du tout, eux.
Sinon, chez Tata, il y a aussi un chien. Bâtard, évidemment, personne ne le calcule, je ne sais même pas s’il a un nom. Et puis, Oscar, l’affreux neveu. Et puis - je n’ai jamais bien capté qui c’était - un couple de vieux qui semblent avoir choisi de passer la fin de leur vie au plumard, dans la chambre du fond. Jamais vu debout. Toujours au lit. Devant la télé. Tranquilles. Pas malheureux pour autant. Le papy, un cigare éteint au bec.

C’est une cité en briques rouges, datant des années trente ou quarante, très curieusement assez ressemblante à celles qui furent construite à la même époque dans les périphéries urbaines en France. Un ghetto, quoi.

Nous voici donc dans l’appartement rentabilisé par Tata. C’est du rien : des restes de papier peint datant des années quarante, jamais changés ; du mur patiné ; une rose en plastique et des poupées rescapées des ordures, sur des étagères mal posées ; une vierge multicolore qui louche, là, sur la commode ; un christ bancal, basané par la nicotine ambiante, cloué de traviole, au dessus d’un clic-clac à moitié fait ; des grosses blattes qui se promènent, pas farouches, urbaines, mutantes, façon pigeon… Et puis, vautrés sur des fauteuils et un deuxième canapé de récupération, une dizaine de portoricains joviaux, prêts à tout pour te dépouiller. Mais on ne dépouille pas chez la tante d’Oscar. On attend plus tard. Tant que je suis ici, je suis au chaud. Eux aussi. A mon souvenir, ils ne se droguent même pas. Ils ricanent bêtement, quand même. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire là, tous ? Ils attendent quoi, enfin ? On n’en saura jamais rien.

A Paris, les clodos sont pour la plupart alcooliques. A l’ancienne. A New-York, ils ont vingt piges d’avance. Des junks, presque tous. French connexion oblige. En combine avec des agents hospitaliers ripoux, ils fourguent des seringues - celles-ci n’étant pas en vente libre. « Works ! Works ! », qu’ils crient, à quelques dizaines de mètres des dealers. De la came, il s’en vend à tous les coins de rues. En revanche, impossible de trouver un endroit pour se la fixer posément. Les gogues Decaux cartonneraient grave. Mais le concept ne doit pas être tout à fait dans l’esprit de la municipalité. Non non non. Aucun W.C public. Impensable. Même les bancs ont des pics, séparés d’une cinquantaine de centimètres, calculés pour pas qu’on s’allonge, juste l’espace suffisant pour poser son gros cul d’américain normal en attendant le bus, et pas plus. Dans les bars, que des toilettes sans verrou. Ou bien, si tu consommes, il faut demander la clef avant, histoire d’être bien tapissé. Avec le taulier qui descend, quand tu as dépassé le temps réglementaires, pour voir ce que tu peux bien branler sale junky. Anti-SDF. Anti-tox. Partout. Etudié contre.
Une fois, j’ai failli me faire gauler. Heureusement, je suis prévoyant : j’avais baissé mon froc. En me découvrant de dos, à moitié à oilpé, le barman a stoppé net son investigation : « Sorry, Sir…» L’est reparti comme il était venu. Un miracle. Même pas remarqué que pendant que je faisais semblant de pisser, le cul à l’air et ma bite à la main, j’avais une seringue plantée dans le bras. J’en fus tout ému. Du coup, j’eus un accès de tremblote, qui me fit renverser ce qu’il me restait de dope par terre. Depuis, je vais chez Tata.

En échange du dollar, Oscar me ramène un cooker neuf, pour faire bouillir la came. En l’occurrence, une capsule métallique de bouteille de soda débarrassée de son fond plastifié. Leur petite cuillère à eux. Je demande un coton, il se fout de ma gueule.
- Du coton ? Pourquoi faire, du coton ? Mais qu’est-ce que vous avez toujours les Européens à vouloir du coton ? Pas besoin de coton…
Il se baisse, arrache une peluche à sa chaussette – il portait une paire de chaussettes de sport blanches avachies bien pelucheuse, et la roule en boule, avec ses doigts crasseux, avant de me la tendre, sa pompe toujours dans le bras, en me balançant son plus beau sourire de faux cul du ghetto. Merci Oscar, t’as raison, je vais utiliser une peluche de tes chaussettes pourries comme coton. T’as raison, ça sera bien stérile… Du coup, par association d’idées, je jette un œil sur la seringue que je viens d’acheter au clodo du coin : plus de scellé, sa mère la cloche… une pompe usagée ! Faudrait peut-être éviter quand même de choper le Das’, si possible, je suis pas tout à fait suicidaire encore, faudrait peut-être la rincer...

Bien utilisée, l’eau de Javel est virucide de tout, j’ai appris ça ici. Dans les quartiers chauds, y a des affichettes placardées sur les lampadaires, qui t’expliquent comment nettoyer ta shooteuse, on te distribue même des petits kits de stérilisation, avec une fiole de Javel dedans. Si je suis passé au travers de l’hépatite et du sida, c’est peut-être bien grâce à Claude-Louis Berthollet, merci Claude, merci beaucoup. Jamais ils t’en parlent, en France, ils sont totalement abrutis. Bien plus tard, de retour à Paris, en prenant des capotes offertes dans un centre antisida, je leur ai dit, aux médecins spécialisés : pourquoi vous expliquez pas l’eau de Javel ? Ils m’ont rétorqué que c’était pas sûr, ils avaient l’air à peine au courant, et puis que l’eau de Javel vendue aux particuliers n’étaient pas la même que celle des hostos, qu’elle pouvait être périmée, donc qu’il fallait pas le dire, que sinon, tous les héroïnomanes allaient utiliser des seringues usagées, que la seule solution, le seul conseil à donner, c’était la seringue neuve. J’avais envie de les gifler, cette fine équipe de tanches. Une bande de criminels.

En attendant Oscar, de l’eau de Javel, il en a pas. Il sonne chez le voisin. Il en a, lui, c’est un verre contre une cigarette. Ils ne vont jamais rien chercher bien loin. Heureusement qu’il me reste des tiges.

Ca y est, c’est bon, j’ai tout, rien oublié ? Aux chiottes !
Des carreaux qui furent blancs, de base, un lavabo 40’s qui finira chez un antiquaire de Soho, une cuvette sans lunettes – tu me diras, mieux vaut qu’elle voit flou, pas de PQ, c’est en option, un dollar par truc on t’a dit, un bac à douche envahi de dépôts calcaires brunasses, un rideau en vinyle presque neuf, tiens, Tata a eu un cadeau…
C’est en refermant la porte des toilettes que je tombe sur le chien, allongé, inerte… Il est tout mou, tout aplati sur le carrelage, avec la peau qui déborde sous le ventre, comme s’il avait fondu. Je lui donne un petit coup de latte, il bouge pas, ma parole ! il est mort. Je le touche, il est encore un petit peu chaud. Il est mort y a pas longtemps. Ils le savent les autres ? Ils m’ont rien dit. Ils m’auraient dit, s’ils savaient, quand même… Va falloir leur annoncer. Pour commencer, je me fais ma petite tambouille ; et puis mon fixe. J’ai bien maté le chien pendant la montée. Histoire de savourer l’instant. C’est pas tous les jours qu’on se shoote à côté d’un chien mort. Si je me fais une OD, on sera deux sur le carrelage.
En ressortant, je vais trouver Oscar.
- The doguizedèd , je dis.
Il a pas compris tout de suite.
- The dog is dead, je répète, en plus convaincant.
Il a fallut que je l’entraîne aux gogues. Il a observé le chien un moment, ahuri, sans trop s’approcher. On aurait dit qu’il en avait un peu peur. Ils sont superstitieux, les Portoricains.
- Fait chier, il lâche enfin.
Puis il retourne dans le salon, sa pompe dans le bras, comme si de rien n’était, il reprend sa conversation avec ses potes, il est dans le déni.
- Tu fais rien, je lui demande, tu le dis pas à Tata ?
- Si, je vais lui dire…
- Ben vas-y. Faut bien lui dire un jour.
- Ouais je vais y aller.
- Ben vas-y.
Il veux pas trop y aller, il sent qu’elle va faire du cri, il a pas tort. Il se décide, quand même… Dés que Tata a vu le chien, elle s’est mise à hurler comme si elle avait perdu un fils à la guerre du Golfe. Nous voilà en mode comédie dramatique, américaine. A son climax. Elle en fait des caisses, Tata. C’est le rôle de sa vie. Manque plus que la musique. Après, elle disparaît dans la cuisine. Elle s’insulte toute seule, maintenant, « qu’elle est bonne à rien, que même les chiens crèvent chez elle, qu’elle pue la mort », en se cassant des assiettes sur la tête. Oscar revient dans le salon et se met à piquer du nez en se grattant, dans un coin. Il a sa dose. Il est imperturbable.
Moi qui comptais bien dormir ici, je suis pas trop chaud à l’idée de passer la nuit avec un chien mort dans la salle de bain. J’ai des principes… Je reviens à la charge. Oscar, faut jamais le lâcher.
- On va le laisser là, le chien ?
- Le chien, il est connu dans le quartier. Et la poubelle, c’est interdit. Les flics rigolent pas avec ça. Faut appeler le service vétérinaire. Ca coûte soixante-dix dollars… Tu les as ?
Personne les a. Et toc. Oscar, il est tout fier de sa réponse.
- Tu sais Oscar, si je dors ici, je vais te donner un dollar. Mais je dors pas à côté d’un chien mort…
La perspective de perdre un dollar, ça l’a réveillé subitement.
- On peut le jeter, mais pas en bas. Y faut faire quatre ou cinq blocs. Et pas le dire à Tata. A Tata, on lui dira qu’on a appelé les vétos…
D’accord Oscar, si tu veux, Oscar. On a mis le chien dans une couverture et on est descendu dans la rue. Oscar, le chien dans son hamac, et moi… On a marché jusqu’à la 116ème avant de le mettre à la poubelle. Personne ne nous a rien dit. Oscar a récupéré la couvrante. C’est la sienne. Après, il m’a demandé le dollar tout de suite, comme ça, sur le chemin du retour, il s’est acheté de la coke.

J’y repense souvent, au chien. Je me dis « De quoi qu’il est mort ? ». A la réflexion, pour lui, chez Tata, y avait rien du tout. Ca doit être ça qui l’a tué.
Le chien, il est mort de rien.

Jean-Noël Gabilan



lundi 22 juillet 2013

Chier vomir voter



Travailler travailler
Fumer fumer
Se révolter se révolter
Révolutionner révolutionner
Eviter les complications
Chier vomir voter chier vomir voter
Crever crever avec son maigre gain
se décomposer se décomposer
dans la cadre imparti
avec une belle dignité
les orientations vers un après ne présentent aucun évolution
au centre
chez soi
rien n'émerge du brouillard
la neurasthénie est submergée de demandes
pour son programme de grande audience
le commerce des inéquations fonctionne à plein régime
les VIP incarnent
la réussite
avec une supériorité indiscutable
instaurent un partenariat avec la corruption et la dictature
les cadavres en putréfaction ne leur pèsent pas sur la conscience
l’espoir à un serrement de cœur
l’indifférence réunis le quorum
les vaches rentrent au bercail
les désordres amoureux sont éternels
il n'y a rien à démêler
méditer sur une phrase
à quoi bon
nous ne sommes pas arrivé à destination
avant de s'endormir
cogiter
il faut composer un poème
selon les conditions générales de ventes
avec une grande retenue
corriger
se heurter à l’incertitude croissante
et puis
il faut mener les poules pisser
tous ces trucs resteront au stade embryonnaire
les fruits du désastre sont mûrs
il faut se préparer au choc
aucune fuite ne sera plus inquiétante
plus tard
la gare fontaine des excès passés se balance avec un manque total de décence

Chris Bregaint

dimanche 21 juillet 2013

PÉPLUM DANS UN BOX



Un péplum dans un box


Pas de bol, la pluie fine de la nuit joue les prolongations et le froid qui mord s'invite au bal. Je cogne à la porte qui s’entrebâille, mais guère. Comme une pucelle.
« Le voisin. Je viens pour filmer l’Aïd. »
L'œil est méfiant. Un coup de menton sec m'invite. À part l'épicier, Omar Vaseline Helfa, sa femme, ses trois enfants et son cousin, je ne remet personne. Une vingtaine de quidams causant arabe me dévisagent. Ils parlaient haut. De moi. Inutile d'être Levi-Strauss pour comprendre. Pourquoi chuchoter avec « le Français ». Je serre malgré tout les mains qui daignent se tendre. J'économise ma pince, trois en tout.
Je ne connaissais pas l’entrée des artistes. Ce côté de la cour de l'épicerie. Une centaine de mètres carrés cimentés, un platane sans feuille, trois box à bagnoles sans porte, quelques palettes et des jouets d’enfants cramés par le soleil d'aout, trempés par les averses d'octobre. Madame Helfa vient me dire bonjour. Une brave grosse femme timide, la quarantaine passée et habillée traditionnellement. Des tatouages au henné remplace avantageusement des bijoux qu'elle n'a pas. Ceux de ses mains les rendent presque graciles. À voix basse, elle me promet du couscous au mouton. Demain. Et ce sera sa fille qui me l'apportera. Je m’incline, discret. La diplomatie est vitale un jour comme aujourd’hui. Tous ces musulmans frisent le sacrilège en m'introduisant. Pas la peine d'être médium, c'est jour de fête pour la paranoïa : elle dégouline des regards, les voix osent la vindicte. Les vieilles ne sont pas en reste. L’heure est au rejet entier, total, sans équivoque. Seuls, les petits, excités par la perspective du sacrifice, se foutent royalement de la présence d’un croisé dans l’enclave musulmane du Pileu. Non, eux, pour l’instant, ce qui les intéressent c'est de faire chier le mouton dans le coffre de la Twingo. Alors, comme dans toutes les familles du monde, les parents viennent filer des mini-torgnoles. Il pleut des baignes. Ça chouine et puis ça recommence à taquiner.
On me regarde déballer mon matériel démodé. Une caméra 16 mm montée sur un fort pied de bois. C'est du très beau matériel mais il ne sort pas de chez Darty. La défiance se tinte maintenant d’effarement. Un jeune trou duc, une sorte de rappeur endimanché de mes couilles, me demande si j'ai récupéré mon matos à Ouagadougou. Les reubeus se tordent le bide.
« No man, j'travaille pour Aljazeera Al Le Pileu. » Cette vanne déclenche également les rires. Comme l’applaudimètre joue en ma faveur, l’incident se clôt.
Je plonge dans l’obscurité d’un box vide et humide. C’est là, me dit Omar Vaseline, que le mouton serait dépecé. Comme il flotte, je filmerai à contre-jour, adossé au mur du fond. Helfa me montre le chevalet rudimentaire qui servira à suspendre le mouton mort, tête en bas. Un X appuyé sur le mur, formé de deux planches et deux clous.
Dehors, la bruine persévère dans son lent travail de sape. Il fait six degrés. On se frotte les mains et on tape des pieds. Ma caméra me file l'onglée. C'est un Aïd de chiotte. On dit aux enfants de se couvrir. On peste en arabe contre le ciel. Un feu de palettes cassées à la hâte brûle dans un ancien bidon d’huile d’olive. Les esprits s'échauffent si les les pieds restent gourds.
Les femmes disposent dans le box des seaux de couleurs distinctes au sol. Un Arabe Affûte un Opinel N° 12. Régulièrement, il le teste en rasant les poils de son bras. Ce test-là, je l'ai vu faire déjà. Je le connais même par cœur, depuis tout môme. Mon père faisait le même : tant que la lame glisse sur le poil, un couteau ne mérite pas qu'on appelle « affûté ».
Le roi du filet de sardines et du pack de Kro vient me prévenir. C’est l’instant. Celui du remerciement à Allah, celui du sacrifice. Ça y est donc, plus le moment de savoir ce que je fous là. Omar menace et supplie à la fois, « Tu rates pas, hein »?!. L'enjeu est crucial pour lui, son Aïd doit au moins concurrencer celui de ses frères, là-bas, au bled tunisien. Son honneur, il l'a confié à ma science. À ma science de blanc.
L’homme au couteau m'attend. Le petit peuple des croyants s’écartent pour que je filme.
Je tourne l’Aïd, au Pileu. À Palaiseau.
L’épicier fait trébucher le mouton vers l’avant. L’homme au couteau saisit une oreille et, inclinant sa tête au-dessus d’une cuvette vert printemps, lui tranche la gorge. Le mouton gueule un bon coup. Puis, rien. L’Opinel a parlé franchement. On se félicite mais aucun youyou.


Le boucher amène le mouton saigné. Avant de le suspendre au chevalet, il met en marche un compresseur. Ça pue le gasoil. Il introduit un tuyau dans le remerciement à Dieu qui se met à gongler comme une baudruche. La toison décollée des muscles, il peut à présent être entaillé, éviscérer.
Outre cet ovin dont on lie les pattes au chevalet, je vois dans mon œilleton les femmes accroupies qui attendent, chacune avec sa bassine colorée, que le sacrificateur ouvre l’animal. Leur œil est mauvais pour l’opérateur qui manie la caméra noire. Pourquoi filme-t-il, le Français? D'un coup sûr, le boucher éventre son remerciement. Un peu de sang se mélange aux eaux usées et à l’huile de moteur qui stagnent là.
Dans ce box, j'en aurai la confirmation chez Neyrac- Film plus tard, se produit une merveille inespérée : les boyaux tièdes, dans l’air froid de ce matin d’Aïd el Kébir, fument abondamment. Les volutes aussi inattendues que vives dans ce contre-jour d’octobre s’enroulèrent autour du boucher affairé. Une pure bénédiction de cinéaste. Cet extérieur-jour, pourtant avare, m'offre une qualité de lumière irréelle qu’aucun studio n’aurait pu me fournir. La nature même me porte ! Ce même froid, qui ne faisait qu'engourdir les mains l’instant d’avant, fait naître maintenant ces vapeurs inédites. Mêlant, jusqu’à un point rare, le trivial et le sacré, chaque mouvement atteint au sublime. Des plus innocents aux plus impitoyables, tous acquièrent de la majesté.
Les femmes se sont mises à laver les organes comme prévu, et personne ne prête plus attention à moi. Je m'autorise à faire des gros plans sur ces gens d’un autre monde, d’une autre époque. Qu’importe les cuvettes bariolées achetées chez Leclerc. Tant mieux, même. Le seau en plastoc remplace la cruche de terre cuite. Au-delà de la banalité, tous les gestes rejoignent une histoire extraordinaire, ample et dont tous ces hommes et ces femmes sont les héritiers à leur insu. Tous, dans l’accomplissement de ces gestes ancestraux, participent d’une antiquité plus éternelle que révolue. Et le plus fort est que ce ballet se crée sur le ciment d’une cour, s’exécute derrière un portillon apparemment sans histoire, ici, au Pileu, pour le plus improbable péplum.

Aujourd'hui, on tapote à la verrière de ma cabane. C'est mon couscous mouton. Servi dans une assiette Arcopal protégée par papier aluminium. Leur fille de douze ans, jolie, sera sexy dans quelques mois.


JF Dalle



samedi 20 juillet 2013

MOURIR/ADMINISTRATIF/PUB




y a un endroit qui crie 
comme ça
 
la mort sous les
 
transformateurs 

mégaphone au-des-
sus des rails

je peux enfin me branler 

de façon adéquate

de tout
 
ça doit puer un truc 

ancien
 
les bonnes vieilles peupleraies 

plantées par les agents
 
qui croient 

que c'est d'eux qu'advint la forêt



Paco du jardin d'insertion 

vélo et tronche de mongolien 

vient y reposer ses genoux
 
dans le couchant 
il est tout nu

il creuse une tombe un abribus
 
pour quand il pleuvra des missiles

ils ont tous des cutes secrètes 

pour planquer les autoradios
 
la mairie a déployé un communiqué
 
y a plus que des trous dans la chaussée

 

au croisement de 

Montbourbier
 
y a un endroit qui crie 

comme ça
 
le sommeil dans la peupleraie
 
le train qui fait vibrer ses fils
 
la grosse taloche du maçon

bouquet de fleurs de Lexomil

après s'être enculer bien à sec
entre deux Smirnoff Ice c'est bon

Al Denton


LA PASSERELLE


...10 000 ans... les étangs de boue... les étangs... les vastes étendues recouvertes... tout ça est loin maintenant... les dinosaures aussi... j'arpente les rues lessivées par les averses de la nuit... quartiers de viande... pâtés de maisons... flancs de colline... il fait doux... les derniers couche-tard se finissent à la bière... adossés contre les carrosseries... certains se coursent sur le goudron... se taclent par derrière... chemises déchirées... arcades ouvertes... d'autres enfin chialent leur mère sur un bout de trottoir... le visage crevé... la peau sale... les effluves perceptibles... en zone mixte... le maquillage saigne... et les nibards dégueulent... en zone mixte... les premiers lève-tôt se croisent... qui ont des poches au bout des bras... qui ont des poches au bout des yeux... et des yeux durs comme des œufs... des yeux qui parfois... ne sont pas vraiment au bon endroit... minuscules périples... un marché de plein vent se construit... un regard de jeune fille me fait sursauter le cœur... un regard ultraviolet aux propriétés antiseptiques... cette passerelle offre un point de vue inédit... sur les arbres et les toits... et la collecte des eaux pluviales... et le passé... qui ne passe toujours pas...

Heptanes Fraxion



jeudi 18 juillet 2013

MAIS PAS PLUS



Une vie de réclusion volontaire, une vie de fuite intérieure, une vie en ermite, une vie passée à regarder par l’œilleton avant de décider de ne pas ouvrir la porte, une vie à laisser sonner le téléphone sans répondre jamais, une vie dominée par la misanthropie.
Toute une vie construite sur ce constat : je ne veux pas frayer avec tous ces connards. D'accord pour les observer de loin, pour en faire le sujet parfois de mes textes, d'accord pour partager avec eux la planète, mais pas plus. Tous ces gens que vous acceptez de côtoyer, à qui vous serrez la main, qui vous donnent parfois des ordres, qui viennent manger chez vous, vous filent des conseils, vous disent comment faire, tous ces gens que vous ne supportez pas et qui pourtant font autant partie de votre existence que votre meilleur ami ou que vos courbatures, tous ces gens qui grignotent votre âme comme une armée de termites, je ne les veux pas. Toute une vie sans patron envahissant, sans collègue mesquin, sans famille pourrie, sans voisin casse-couille, sans ami dont on ne sait pas comment s'en débarrasser, sans mariage qu'on passe sa vie à regretter, toute une vie sans autre lien que ceux qu'on a voulus, toute une vie entourée de l'amour de ceux qu'on a choisis, toute une vie baignée dans les affinités électives, toute une vie le ventre au chaud et sur le monde un œil tranquille.
Un vie de chat si on veut, ou bien d'enfant gâté, une vie d'homme libre, une vie d'honnête homme, une vie de peureux, une vie sans conflit, une vie sans courage, une vie sans embuche, une vie sans jouer le jeu, toute une vie passée à suivre ses propres règles, toute une vie passée des ciseaux à la main pour couper tous les fils qui doivent être coupés. Une vie sans éclat, sans complication. Toute une vie passée sans aucun compromis et planqué, bien planqué dans la pénombre du monde.

Christophe Siébert (collectif Konsstrukt)

LE CIEL S'EN FOUT



Marc Dorcel, Albert Camus, le divorce. Le ciel qui s'en fout, le soleil qui s'en fout, les gamins qui s'en foutent et se gueulent dessus pour une histoire de ballon. Brad Pitt, Zahia, comment maigrir sans difficulté. Sous ce soleil bleu été, les cavaliers de l'apocalypse. Le simulacre du monde. La vanité. Le ridicule. Marc Dorcel, Albert Camus, le divorce. Cahuzac, l'UMP, le Qatar. Une peau de cadavre enfilée sur notre peau. Une écorce pourrie. La vieille cosse laissée là d'un insecte périmé, dont on se pare sans raison. Un film étirable tendu entre le soleil et nous. Des petits sachets de congélation enveloppant chacun de nos neurones. Marc Dorcel, Albert Camus, le divorce. Des échardes impossibles à ôter. De toutes petites épingles enfoncées dans notre âme. Marc Dorcel, Albert Camus, le divorce. 85 recettes faciles, qu'est-ce qu'un vrai ami, Vincent Cassel. Leur ombre qui gâche le soleil et leur fadeur la bière. Jean Dujardin, Rachida Dati, faut-il être beau pour réussir. Tous les efforts à faire pour se tenir debout. Tout les efforts à faire pour simplement boire un demi en terrasse et se demander le nom des arbres et le temps qu'il fera demain. Tous les efforts à faire pour tenir à l'écart la magie noire. Le ciel qui s'en fout, le soleil qui s'en fout, les gamins qui s'en foutent, les coquelicots en retard ou bien qu'on a raté, les courbatures et la sueur, la fatigue et la faim, comme un antidote.

Christophe Siébert (du collectif Kronsstrukt)


EN ATTENDANT GOLDORAK



En attendant Goldorak, je décapsule une bière.
J’ai dix ans et j’en ai quarante. Je suis morte et je suis vivante.
À la télé, les publicités. De vieilles publicités. Je voyage dans le temps. L’alcool n’y est pour rien, au contraire. Elle m’aide plutôt à ne pas oublier l’ici, le maintenant, la migraine qui enfle et cette foutue nausée.
Dehors, les mômes crient. Ceux de mon âge. Ceux avec lesquels je ne joue pas, sauf parfois dans les caves de l’HLM, à graffiter des messages à la con sur les murs en béton. J’ai dix ans, bordel, je n’en sortirai jamais. J’ai peur. À cet âge-là, on a souvent peur sans trop savoir de quoi. Ensuite, il y a un moment où les choses basculent. On passe une frontière, on change de monde, on devient grand. Je n’ai jamais franchi la douane. Trop de bagages sans doute.
Le générique de Goldorak me pétille dans la gorge, saveur houblon, amer. Pas tout à fait le goût de la nostalgie.
Dehors les oiseaux gueulent. Je déteste la campagne. Pourtant, il paraît que c’est bien, que c’est apaisant. Mais c’est tellement de temps et d’espace et de silence à remplir. Avec quoi ?
Je suis ici et là-bas. Dans un aujourd’hui à la beauté frigide des clichés « House and Garden ». Dans un autrefois cabossé que je trimbale comme des gamelles accrochées au cul d’une bagnole. Je ferme les yeux. Je les ouvre. Me lève. Titube. Cherche les horaires de train et la télé serine, Goldorak, go ! Alors j’y vais.
Je m’en vais.
Il est peut-être temps de vivre, va savoir. Actarus m’attend quelque part. Dernière gorgée de bière, ambrée. Pas tout à fait la couleur de l’euphorie.

Marlene Tissot


UNE VIE ÉTERNELLE




Une vie toute entière à glisser dans la porte la carte magnétique et à mémoriser le numéro de la chambre, à s'asseoir sur le lit pour tester son confort, une vie toute entière à comparer cette salle de bain anonyme avec mille autres salles de bain anonymes, à regarder son reflet et à faire un effort pour se remémorer dans quel pays on est, dans quelle ville déjà ; une vie toute entière à marcher dans une travée de TGV et à lever les yeux vers le numéro des places, une vie à attendre le démarrage du train pour sortir les sandwiches, le Coca, le bouquin, une vie toute entière à poireauter dans le hall de départ, une vie à prévoir à la seconde près le moment où s'affichera le numéro du quai ; une vie toute entière sur le parking d'une gare routière, une vie toute entière sur une aire d'autoroute, une vie à choisir des sandwiches-club et à se dégourdir les jambes à trois heures du matin dans des odeurs d'essence, une vie à mater des visages qu'éclairent le bout rouge des clopes, une vie toute entière à somnoler le menton dans la main et à ouvrir les yeux dans des villes inconnues et à voir à travers son reflet une avenue déserte et la lueur orange de l'éclairage public ; une vie circulaire, une vie qui échappe à l'espace et au temps, une vie panoptique, une vie éternelle.

Christophe Siébert (Du collectif Konsstrukt)



HEUREUSEMENT QU'IL RESTE DE LA BIÈRE



La réalisation

L'illumination

Ne sont pas moi

Ne sont pas miennes

Ne sont pas à moi

Et ne s'appartiennent pas non plus

Heureusement qu'il reste

De la bière


Heptanes Fraxion

CODE COULEUR Extrait de : Les Girafons



(…) Mon cas est différent. Je vais bien. Une simple absence temporaire du monde me convient. Couper les ponts, comme on a trop coutume de le dire. Rien ne m'oblige, j'ai envie. C'est tout à fait différent. Je n’ y ai pas réfléchi plus que ça mais, comme ça, au sentiment, je m’octroie deux ou trois mois et fin du chapitre clinique des Mimosas.

Ici, il ne devrait pas y avoir de sanguinaires dans ces murs. Pas de Pierre Rivière. Pas de Roberto Succo. Eux , les défrayeurs de chroniques, ils ont dû se faire parqués ailleurs. Derrière des murs en falaises, surmontées de tessons anti-colère. Cachés dans des banlieues où les arbres ne servent plus guère qu’à pisser. Genre Drancy.

Drancy... De fil en aiguille, je pense aux fous et aux nazis. Ils les stockaient par couleurs ? Mais par quelle couleur distinguaient-ils leurs fous ?
Les nazis, des pragmatiques et des modernistes, avaient un code couleur pour leurs gazés. Le jaune et le rose, les plus connus, mais il avait aussi le rouge pour les cocos. Plus extraordinaire, il avaient choisi le violet pour les témoins de Jéhovah. Le violet pour Jehovah ? J'y aurais pas pensé personnellement. Le vert pour les criminels. Tiens donc ! Mais pourquoi le vert ? Vert pour les criminels... vert pour les criminels... vert pour les criminels. Non, j'vois vraiment pas. Ensuite, le noir pour les asociaux. Là, c'est pas joli joli d'avoir copié sur Louise Michèle. Le nazi n'était pas très fier, en fin de compte. Beaux uniformes, beaux Panzer, mais copier, c'est mochedingue ! Bref. Le marron pour les tziganes. La peau marron du tzigane ? C'est flou. Le bleu pour les émigrés. Datant de la révolution ? Les émigrés, avec leur sang bleu ? Non, là je fais avec mes références. Ici aussi, grand mystère.
Avoir un ami nazi. Sous la main. Auquel je pourrais téléphoner. Un bavard. Un omniscient de l'holocauste. Pourvu qu'il sache. Je brûlerai de lui poser toutes sortes de questions. Les Mimosas doivent avoir ça, internet. A Saint-Anne, il l'avait pas. Raison de sécurité. Comme en Chine.
J'y pense, si j'avais un nazi à portée, c'est fou le nombre de questions que j'aurais à lui poser en dehors de ce code couleur qui me turlupine. Par exemple, certaines questions ne sont jamais soulevées et manquent toujours aux reportages sur les peuplades : comment qu'on baise ailleurs ? Zéro confession et quant aux images, nib ! Ni sous la yourte ni dans les camps ? Ah des cérémonies de mariage, ça oui ! De trop même ! Mais de ça, je m'en fout. Moi, ça m'intéressait moi, c'est le commentquonbaise. Ici, là-bas, hier.
« Hé, mon Obersturmführer, comment c'était à Bergen-belsen ? Allez Werther, raconte à Denis ta jeunesse ! Sois pas timide mein Gott ! Fais pas ta salope d'Alzheimer avec moi, bitte ! Réfléchis, gratte dans tes vieux souvenirs préférés. Réponds-moi Werther... Schnell ! Sofort !! Y avait pas une ethnie d'élite pour la sodaltesque ? Hein, dis-moi ? Un race élue pour la bagatelle ? Et les maboules, ils y étaient, eux aussi, les maboules de vos fêtes ? De leur couleur, tu te souviens pas ?! Mais si, Werther, la couleur des folles avec lesquelles vous faisiez les tournantes, t'as pas pu oublié ça tout de même ! Et les mongoliennes qui souriaient sans rien comprendre ? Si, rappelles-toi, celles qui vous suçaient à la chaîne. Non plus ? Les Werther, c'est une race de vivants taiseux. Ou de morts.
Ah la la, sans un bon copain nazi, tout reste obscur, de seconde main... On a juste une vague idée de la Nacht mais pour ce qui est du Nebel, macache ! Il reste un damné foutu brouillard qui ne se dissipe jamais. Sans nazi, je suis bien obligé de me débrouiller. Je me fais l'effet d'être un mixe de François Furet et Mac Giver.
J'imagine que, selon les cas, une palette de couleurs devait s’avérer indispensable. Si vous étiez asocial, criminel, pédé et né Français, Jean Genet pour le citer, le col de son gentil pyjamas rayé devait s'affubler de vert, de noir, du rose évidement, suivi de la lettre « F ».

Si le cas Genet semble limpide, rose et noir, reste la question pour laquelle je n’ai aucune réponse, quelle couleur pour les maboules ? Pas de couleur ? On sait très bien que cela se voit pas d'emblée. Alors ? Il a bien fallu une putain de couleur pour se les reconnaître, les timbrés de 1943. Je cherche une couleur plausible pour ces gazés tandis que je pousse la porte du hall des Mimosas. Je l'ai sur le bout de la langue. C'est rageant.

Bardât léger mais barre dans le front, j'entre. (…)

A. Coï

mercredi 17 juillet 2013

TANT DE TANT



Tant de nourritures qui ne rassasient pas
Tant de phrases qui ne disent rien
Tant d’escaliers qui ne montent nulle part
Tant de lumières qui n’éclairent rien
Tant de voitures qui ne roulent pas
Tant d’yeux qui ne voient pas
Tant de magies sans charmes
Tant de braseros qui ne réchauffent pas
Tant de pensées sans opinion
Tant de portes qui ne s’ouvrent pas
Tant de fenêtres aveugles
Tant de gouvernails sans direction
Tant de musiques sans tempo
Tant d'oreilles qui n'entendent rien
Tant de chambres sans rideaux
Tant de mains qui n’atteignent rien
Tant de fleurs sans éclat
Tant de connaissance sans conscience
Tant de stylos qui n’écrivent rien
Tant de philosophes qui ne raisonnent pas
Tant de héros ordinaires
Tant de gagnants sans victoires
Tant de lignes droites qui allongent les chemins
Tant de rentrées sans débouchés
Tant de sorties vers des impasses
Tant de pas paralysés
Tant de profils sans personnalité
Tant de magasins vides
Tant de restes qui explosent
Tant de sommeils qui n’effacent pas la fatigue
Tant de gouvernants qui ne maîtrisent rien
Tant de chaussures et des pieds écorchés
Tant d’efforts qui ne produisent rien
Tant de gens sans visage
Tant d’images qui n’affichent rien
Tant de maisons inhabitées
Tant de vitesse sans but
Tant de films qui ne projettent rien
Tant de guerres sans paix
Tant de biens qui font du mal
Tant de sang sans vie
Tant de tableaux qui n’expriment rien
Tant de forêts déboisées
Tant de pouvoirs qui dépossèdent
Tant de tragédies sans responsables
Tant de sérieux qui ne proposent rien
Tant de bouches qui n’embrassent pas
Tant de joies sans plaisir
Tant de sourires qui ennuient
Tant de réalités fabriquées
Tant de vides qui emmurent
Tant de vêtements qui n’habillent pas
Tant d’informations qui n’apprennent rien
Tans de boissons qui ne désaltèrent pas
Tant de beautés sans profondeur
Tant de chaises vides
Tant de fêtes maussades
Tant de sociétés de solitude
Tant de forces impuissantes
Tant de grillages qui ne protègent de rien
Tant de livres fermés
Tant d’ordinateurs qui ne communiquent pas
Tans de haines sans passion
Tant de routes qui ne mènent nulle part
Tant de silences tumultueux
Tant de sang sans chaleur
Tant de coeurs qui ne battent pas
Tant de corps immobiles
Tant de bateaux sans océans
Tans de libertés enfermées
Tant de naturels superficiels
Tant de riens qui font un tout
Tant de feux qui n’embrasent rien
Tant de vérités qui mentent
Tant de droits qui n’autorisent à rien
Tant de sonneries inaudibles
Tant d’argent qui ne rapporte rien
Tant de cris étouffés
Tant de temps sans saisons
Tant d’assiettes vides
Tant de soleils glacials
Tant de
Tant de
Tant de
Tant de morts toujours en vie
Tant de
Tant de
Tant de
Tant de
Tant de
Tant de
Tant de nuits illuminées

Chris Bregaint