samedi 7 septembre 2013

24 heures dans la ville d’une femme




Minuit : elle dort, dans son appartement au troisième étage, la ville dort avec elle.

Deux heures du matin : elle rêve d’une autre ville, plus grande, plus belle, plus chic, où elle aurait une vie plus grande, plus belle, plus chic.

Quatre heures : un chat miaule dans la rue, en bas, près des poubelles, ça la réveille, elle a le sommeil léger, très léger, plus léger que le thé du salon de thé du coin de la rue.

Six heures : réveillée, rendormie, réveillée à nouveau par les éboueurs, elle pense à tout ce qu’elle a à faire aujourd’hui, dossiers en retard au bureau, aller à la poste centrale récupérer une lettre recommandée – jamais bon signe les lettres recommandées -, essayer de faire les soldes en fin de journée… et puis appeler son père.

Huit heures : petit déjeuner express, douche un peu plus longue – elle adore les douches, ça la détend -, surtout l’eau chaude au niveau des épaules et du dos. La rue en bas s’anime : bruits de klaxons, vacarme des mobylettes et scooters trafiqués, cris d’enfants, aboiement de chiens.

Dix heures : l’ennui au bureau, les collègues pas aimables voire franchement désagréables, celle avec laquelle elle partage son bureau qui lui raconte sa vie dont elle se fout complètement. Elle regarde par la fenêtre. Il y a d’immenses baies vitrées dans cette entreprise, comme dans les films américains. Pour le reste, c’est un boulot de merde mais il faut bien gagner sa vie. Elle regarde par la fenêtre. Observe une vieille dame sur un banc qui donne à manger aux pigeons en jetant un coup d’œil à l’enfant sur son tricycle qui semble échapper à la surveillance de son père qui admire les jambes d’une étudiante qui se rend à son cours de philo.

Midi : elle file à la poste puis achète un sandwich à sa boulangerie habituelle et se trouve un banc sur la place de la mairie, mange en regardant la fontaine éteinte – c’est triste une fontaine éteinte.

Quatorze heures : retour au bureau, elle avale un café immonde à la machine à café, repensant au café italien bu à Rome l’été dernier, l’envie de pleurer monte en elle mais elle se retient.

Seize heures : mal de tête et récriminations de son supérieur car elle n’a pas travaillé assez vite et n’a pas rattrapé son retard, aujourd’hui encore elle a échoué.

Dix-huit heures : elle marche dans les rues piétonnes du centre ville, regarde les vitrines alléchantes, entre dans des magasins, essaie des robes, des jupes, des pantalons, de la lingerie, rien ne lui va, elle rentre dedans mais ça ne lui va pas, s’achète une demi baguette à la boulangerie où elle a acheté le sandwich le midi, rentre chez elle.

Vingt heures : elle dîne seule, face à la télé, n’arrive pas à s’intéresser aux infos, appelle son père malade, son père qui va mourir, elle le sait.

Vingt-deux heures : ce soir non plus, elle ne regardera pas la fin du film, va à la fenêtre, soulève les rideaux, aimerait voir quelqu’un en face, une lumière allumée, une silhouette humaine, personne.

Minuit : demain, encore, il faudra tenir le coup, continuer quand même, elle s’endort, la ville s’endort avec elle.

Marianne Desroziers


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