Quinze
heures, on est le matin, Raoul va vers la cafetière, chiffonne sa
tignasse et baille. Un relent fétide jaillit de sa bouche. L’odeur
du souffre il connaît. Il néglige et se verse un café. Son crâne
crache du Black Sabbath, ça cogne dur dedans, ça aussi il
connaît. Il allume une clope et va s’asseoir sur le bout du
lit.
Son
tee-shirt gris sale pend sur son slip. Il regarde ses jambes. Elles
sont maigres, il s’en fout. Ses mains tremblent. Il croit que ça
va passer. Ça ne passe jamais. Et ce pied gauche qui gonfle et
fourmille de civelles violacées un peu plus chaque jour. Une mouche,
toujours la même, s’y pose. Ça fait des semaines qu’à son
réveil, Marie-Claire s’y pose. C’est comme ça qu’il
l'appelle, Marie-Claire. La mouche elle est là sur son pied avec ses
gros yeux. Elle ne bouge pas. Il la regarde. Il fume en la regardant.
Il regarde son pied, baille encore, renifle, ça fait fuir
Marie-Claire.
Il
ne la voit plus, il la cherche. Une gorgée de café, deux taffes en
l'air vers la fenêtre. La mouche y est, collée. Il y a du
soleil dehors. Quand il sortira il n'y en aura plus. Il se dit ça
comme ça parce qu'il le voit c'est tout. La nuit il ne regarde même
pas les étoiles.
Faut
qu'il se lève. Il doit bien rester quelques canettes dans les packs
qui s'amoncellent au sol. L'écharpe de Tess est restée sur le dos
de la chaise. Il ne l'a pas entendue partir. Ils ont fait l’amour,
il croit. Il ne s'en souvient pas vraiment. Tess reviendra demain ou
jamais, peut-être. La porte de Raoul n'a pas de clef, elle
sait, il se lève. Son pied, il le pose sur sa chemise qui traîne à
terre, trébuche dans la manche, se rattrape au bord de la table,
jure. Un plat de pâtes moisies tombe sur le lino. Gong dans sa
geole, Raoul s'arrête. Des veines de cymbales l'ensanglantent
de sons. Sa tête rugit. La calmer. Il la serre fort entre ses
mains... ça bout, tonne, gronde, explose. Son crâne est un volcan,
la lave s'y répand, il la sent. Des éclairs de piqûres
électrisent son corps. Le formica de la table lui fait froid
dans ses doigts. Sa main se tétanise sur une tache de gras et le
soleil pâlit. La pièce s'emplit de brume. La fenêtre s'éteint.
Raoul se raidit, tangue, vacille, tombe. Marie-Claire se pose à
nouveau sur son pied. Rien n'a vraiment changé, seules les civelles
violacées n'y fourmillent plus.
Tess
l'ignore encore.
Cécile
Delalandre
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