mardi 3 septembre 2013

Evening constitunional



Je pousse ma carcasse parmi les putes crépusculaires et les zonards, sous un ciel de sang, le long des avenues. Dans les immeubles qui m'entourent, des corps morts sont jetés dans des cages d'ascenseur désactivées depuis la dernière coupure d'alimentation. Quand le courant reviendra, ça fera peut-être grin-grin-crrrrrac en descendant à la cave. Il fait chaud, il n'y a pas de vent, hormis les miens, qui ne font rien pour rafraîchir l'atmosphère. J'ai des taches de sueur sous les aisselles, dans le dos, du côté du sternum. J'ai le front, la gueule qui coulent. Des voitures de police passent à toute vitesse, en route vers la justice ; les sirènes se mêlent à des percussions que j'entends sortir d'une quelconque fenêtre. C'est la fête. Sur ma gauche, de l'autre côté de l'artère, bruit de verre. Brisé net dans l'élan d'un vol voué à l'échec. Tout retombe. Je passe devant un clochard qui se vide contre un mur, enjambe sa coulée de pisse. Vingt mètres plus loin, des pigeons picorent une flaque de vomi. L'Atlantide, cet eldorado.

« Les clients, ça va, ça vient », me dit doucement un jeune gars sur ma droite, planté à un arrêt de bus, genre j'attends le 10, mais le 10, coco, ça fait plus de vingt mille ans qu'il ne circule plus. Je ne vais pas lui donner de faux espoirs. « Je suis vide, mon gars, vide. Navré. » Putes à nouveau, plus loin. Afros, Asiates, Blanches-Neiges, jeunes, vieilles, grosses, maigres, gueules camées, innocence sur orbite dégradée. J'attends qu'un caca géocroiseur percute nos claviers, et qu'on en finisse. J'imagine la mort glacée, ballottée par l'attraction qu'elle subit à proximité des autres corps dont elle approche, quelle chance, depuis des millions d'années peut-être, elle n'a subi aucune collision, elle ne s'est écrasée sur aucun monde. Car elle a été forgée spécialement pour nous. C'est de la glace. De la glace d'eau ? Je ne sais pas. Nous ne périrons plus par l'eau, à en croire les Ecritures, donc il est inutile de venir me parler de l'élévation du niveau des mers consécutive à la soi-disant fonte polaire. Il y aura peut-être un peu de feu et de plasma lorsque Nibiru s'échauffera au contact de nos ambiances. Ce sera beau. Tous crever, enfin.

Mais je rêve. On va continuer de vivre encore un peu, baiser comme des porcs mais éviter de poser la main sur l'épaule des collègues de travail. On va encore fumer du shit coupé au désherbant. Et puis on va voteeeeer, bien gentiment. Votre belle petite conscience de citoyens qui font leur devoir, je chie dessus. Je ne vote pas. Je suis un individu douteux, pour le moins. Il faudrait que quelqu'un me tue, je ne sais pas, la Sécurité Sociale devrait racler ses fonds de tiroir pour engager un sniper. Un chacal. J'exploserais à une intersection, en attendant que le feu passe au vert pour moi (« Ah mais dites, il respectait quand même certaines choses, ce Nordmann... »).

Là aussi, je dois me défaire de ces illusions. Je crèverai d'une crise cardiaque ou d'un cancer, comme tout le monde. Vous serez contents tout de même, ne vous en faites pas. Ça fera un indésirable en moins. Nordmann. Ce maître de l'ambiguité. Avec lui, on savait jamais si c'était du lard ou du cochon... (Ah mais non, vous faites erreur, c'était un enculé de première.)

Etc.

J'évite des étrons dont je ne saurais dire la provenance en termes de taxinomie. Des êtres traînent, calculent des coûts aux abords des putes. Des dealers passent en trombe, voitures décapotables, une main sur le volant, l'autre refermée sur une bouteille de jus de fruit (non, je rigole), sono à fond sur le boulevard. Depuis l'arrière-cour d'une petite rue perpendiculaire, j'entends une gonzesse qui crie. J'y vais sans me presser. Deux mecs essaient de la violer au milieu des poubelles. Je sors mon Smith & Wesson (je porte un blouson de toile), tire deux balles dans le monstre bicéphale, ça fait flop sur le sol, tout mou soudain. Des bouts de cerveau luisent sous un néon. La fille se rhabille à moitié, se barre en courant, sans même me dire merci. Je n'attendais pas de remerciements. Je n'ai même pas dissimulé mon visage, je sais très bien qu'il n'y aura aucune suite ; il est déjà trop tard. Je m'éloigne.

Burgers gras. Frites dégoulinantes d'huile. Odeur de merde. Sueur dans les murs, sur le carrelage. Banquettes moites. Je mange, éructe. Transpiration en cascade en ralenti dans mes cheveux pas peignés, sur mon front, mes tempes. J'ai tué, je n'ai même pas d'érection, j'ai oublié à quoi ressemblait la fille. Mais je bouffe. Personne n'a envie de me tuer, moi. Je bouffe. Autour de moi, faces sans joie, mastication mécanique des cas sociaux sous une compil de Michael Jackson. Il y a tout de même un môme hystérique qui gueule, quelque part. Il voulait le Big Merde, pas le Chiasseburger. Le chargeur de mon S&W est vide.

Je ressors. Je vais rentrer chez moi, parmi mes détritus. Puis je vais ressortir. Puis re-rentrer. Je vais peut-être dormir.

Vous allez prendre vos trains de nuit.


Paul Sunderland


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