(…)
Mon cas est différent. Je vais bien. Une simple absence temporaire
du monde me convient. Couper les ponts, comme on a trop coutume de le
dire. Rien ne m'oblige, j'ai envie. C'est tout à fait différent. Je
n’ y ai pas réfléchi plus que ça mais, comme ça, au sentiment,
je m’octroie deux ou trois mois et fin du chapitre clinique des
Mimosas.
Ici, il ne devrait pas y avoir de sanguinaires dans ces
murs. Pas de Pierre Rivière. Pas de Roberto Succo. Eux , les
défrayeurs de chroniques, ils ont dû se faire parqués
ailleurs. Derrière des murs en falaises, surmontées de tessons
anti-colère. Cachés dans des banlieues où les arbres ne servent
plus guère qu’à pisser. Genre Drancy.
Drancy...
De fil en aiguille, je pense aux fous et aux nazis. Ils les
stockaient par couleurs ? Mais par quelle couleur distinguaient-ils
leurs fous ?
Les
nazis, des pragmatiques et des modernistes, avaient un code couleur
pour leurs gazés. Le jaune et le rose, les plus
connus, mais il avait aussi le rouge pour les cocos. Plus
extraordinaire, il avaient choisi le violet pour les témoins
de Jéhovah. Le violet pour Jehovah ? J'y aurais pas pensé
personnellement. Le vert pour les criminels. Tiens donc !
Mais pourquoi le vert ? Vert pour les criminels... vert pour les
criminels... vert pour les criminels. Non, j'vois vraiment pas.
Ensuite, le noir pour les asociaux. Là, c'est pas joli joli
d'avoir copié sur Louise Michèle. Le nazi n'était pas très fier,
en fin de compte. Beaux uniformes, beaux Panzer, mais copier, c'est
mochedingue ! Bref. Le marron pour les tziganes. La peau
marron du tzigane ? C'est flou. Le bleu pour les émigrés.
Datant de la révolution ? Les émigrés, avec leur sang bleu ? Non,
là je fais avec mes références. Ici aussi, grand mystère.
Avoir
un ami nazi. Sous la main. Auquel je pourrais téléphoner. Un
bavard. Un omniscient de l'holocauste. Pourvu qu'il sache. Je
brûlerai de lui poser toutes sortes de questions. Les Mimosas
doivent avoir ça, internet. A Saint-Anne, il l'avait pas.
Raison de sécurité. Comme en Chine.
J'y
pense, si j'avais un nazi à portée, c'est fou le nombre de
questions que j'aurais à lui poser en dehors de ce code couleur qui
me turlupine. Par exemple, certaines questions ne sont jamais
soulevées et manquent toujours aux reportages sur les peuplades :
comment qu'on baise ailleurs ? Zéro confession et quant aux images,
nib ! Ni sous la yourte ni dans les camps ? Ah des cérémonies de
mariage, ça oui ! De trop même ! Mais de ça, je m'en fout. Moi, ça
m'intéressait moi, c'est le commentquonbaise. Ici, là-bas,
hier.
« Hé,
mon Obersturmführer, comment c'était à Bergen-belsen ? Allez
Werther, raconte
à Denis ta jeunesse
! Sois pas timide mein
Gott ! Fais pas
ta salope d'Alzheimer avec moi, bitte
! Réfléchis, gratte dans tes vieux souvenirs préférés.
Réponds-moi Werther... Schnell
! Sofort !! Y
avait pas une ethnie d'élite pour la sodaltesque ? Hein,
dis-moi ? Un race élue pour la bagatelle ? Et les maboules, ils y
étaient, eux aussi, les maboules de vos fêtes ? De leur couleur, tu
te souviens pas ?! Mais si, Werther,
la couleur des
folles avec lesquelles vous faisiez les tournantes, t'as pas pu
oublié ça tout de même ! Et les mongoliennes qui souriaient sans
rien comprendre ? Si, rappelles-toi, celles qui vous suçaient à la
chaîne. Non plus ? Les Werther,
c'est une race de vivants taiseux. Ou de morts.
Ah
la la, sans un bon copain nazi, tout reste obscur, de seconde main...
On a juste une vague idée de la Nacht mais pour ce qui est du
Nebel, macache ! Il reste un damné foutu brouillard qui ne se
dissipe jamais. Sans nazi, je suis bien obligé de me débrouiller.
Je me fais l'effet d'être un mixe de François Furet et Mac Giver.
J'imagine que, selon les cas, une
palette de couleurs devait
s’avérer indispensable. Si vous étiez asocial, criminel, pédé
et né Français, Jean Genet pour le citer, le col de son gentil
pyjamas rayé devait s'affubler de vert, de noir, du rose évidement,
suivi de la lettre « F ».
Si
le cas Genet semble limpide, rose et noir, reste la question pour
laquelle je n’ai aucune réponse, quelle couleur pour les maboules
? Pas de couleur ? On sait très bien que cela se voit pas d'emblée.
Alors ? Il a bien fallu une putain de couleur pour se les
reconnaître, les timbrés de 1943. Je cherche une couleur plausible
pour ces gazés tandis que je pousse la porte du hall des Mimosas. Je l'ai sur le bout de la langue. C'est rageant.
Bardât
léger mais barre dans le front, j'entre. (…)
A.
Coï
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