Une
vie toute entière à glisser dans la porte la carte magnétique et à
mémoriser le numéro de la chambre, à s'asseoir sur le lit pour
tester son confort, une vie toute entière à comparer cette salle de
bain anonyme avec mille autres salles de bain anonymes, à regarder
son reflet et à faire un effort pour se remémorer dans quel pays on
est, dans quelle ville déjà ; une vie toute entière à marcher
dans une travée de TGV et à lever les yeux vers le numéro des
places, une vie à attendre le démarrage du train pour sortir les
sandwiches, le Coca, le bouquin, une vie toute entière à poireauter
dans le hall de départ, une vie à prévoir à la seconde près le
moment où s'affichera le numéro du quai ; une vie toute entière
sur le parking d'une gare routière, une vie toute entière sur une
aire d'autoroute, une vie à choisir des sandwiches-club et à se
dégourdir les jambes à trois heures du matin dans des odeurs
d'essence, une vie à mater des visages qu'éclairent le bout rouge
des clopes, une vie toute entière à somnoler le menton dans la main
et à ouvrir les yeux dans des villes inconnues et à voir à travers
son reflet une avenue déserte et la lueur orange de l'éclairage
public ; une vie circulaire, une vie qui échappe à l'espace et au
temps, une vie panoptique, une vie éternelle.
Christophe Siébert (Du collectif Konsstrukt)
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