Un
péplum dans un box
Pas
de bol, la pluie fine de la nuit joue les prolongations et le froid
qui mord s'invite au bal. Je cogne à la porte qui s’entrebâille,
mais guère. Comme une pucelle.
«
Le voisin. Je viens pour filmer l’Aïd. »
L'œil
est méfiant. Un coup de menton sec m'invite. À part l'épicier,
Omar Vaseline Helfa, sa femme, ses trois enfants et son
cousin, je ne remet personne. Une vingtaine de quidams causant arabe
me dévisagent. Ils parlaient haut. De moi. Inutile d'être
Levi-Strauss pour comprendre. Pourquoi chuchoter avec « le Français
». Je serre malgré tout les mains qui daignent se tendre.
J'économise ma pince, trois en tout.
Je
ne connaissais pas l’entrée des artistes. Ce côté de la cour
de l'épicerie. Une centaine de mètres carrés cimentés, un
platane sans feuille, trois box à bagnoles sans porte, quelques
palettes et des jouets d’enfants cramés par le soleil d'aout,
trempés par les averses d'octobre. Madame Helfa vient me dire
bonjour. Une brave grosse femme timide, la quarantaine passée et
habillée traditionnellement. Des tatouages au henné remplace
avantageusement des bijoux qu'elle n'a pas. Ceux de ses mains les
rendent presque graciles. À voix basse, elle me promet du couscous
au mouton. Demain. Et ce sera sa fille qui me l'apportera. Je
m’incline, discret. La diplomatie est vitale un jour comme
aujourd’hui. Tous ces musulmans frisent le sacrilège en
m'introduisant. Pas la peine d'être médium, c'est jour de fête
pour la paranoïa : elle dégouline des regards, les voix osent la
vindicte. Les vieilles ne sont pas en reste. L’heure est au rejet
entier, total, sans équivoque. Seuls, les petits, excités par la
perspective du sacrifice, se foutent royalement de la présence d’un
croisé dans l’enclave musulmane du Pileu. Non, eux, pour
l’instant, ce qui les intéressent c'est de faire chier le mouton
dans le coffre de la Twingo. Alors, comme dans toutes les familles du
monde, les parents viennent filer des mini-torgnoles. Il pleut des
baignes. Ça chouine et puis ça recommence à taquiner.
On
me regarde déballer mon matériel démodé. Une caméra 16 mm
montée sur un fort pied de bois. C'est du très beau matériel mais
il ne sort pas de chez Darty. La défiance se tinte maintenant
d’effarement. Un jeune trou duc, une sorte de rappeur endimanché
de mes couilles, me demande si j'ai récupéré mon matos à
Ouagadougou. Les reubeus se tordent le bide.
«
No man, j'travaille pour Aljazeera Al Le Pileu. » Cette vanne
déclenche également les rires. Comme l’applaudimètre joue en
ma faveur, l’incident se clôt.
Je plonge dans l’obscurité d’un box vide et humide. C’est
là, me dit Omar Vaseline, que le mouton serait dépecé.
Comme il flotte, je filmerai à contre-jour, adossé au mur du fond.
Helfa me montre le chevalet rudimentaire qui servira à suspendre le
mouton mort, tête en bas. Un X appuyé sur le mur, formé de deux
planches et deux clous.
Dehors,
la bruine persévère dans son lent travail de sape. Il fait six
degrés. On se frotte les mains et on tape des pieds. Ma caméra me
file l'onglée. C'est un Aïd de chiotte. On dit aux enfants de se
couvrir. On peste en arabe contre le ciel. Un feu de palettes
cassées à la hâte brûle dans un ancien bidon d’huile
d’olive. Les esprits s'échauffent si les les pieds restent gourds.
Les
femmes disposent dans le box des seaux de couleurs distinctes au sol.
Un Arabe Affûte un Opinel N° 12. Régulièrement, il le teste en
rasant les poils de son bras. Ce test-là, je l'ai vu faire déjà.
Je le connais même par cœur, depuis tout môme. Mon père
faisait le même : tant que la lame glisse sur le poil, un couteau ne
mérite pas qu'on appelle « affûté ».
Le
roi du filet de sardines et du pack de Kro vient me prévenir. C’est
l’instant. Celui du remerciement à Allah, celui du
sacrifice. Ça y est donc, plus le moment de savoir ce que je fous
là. Omar menace et supplie à la fois, « Tu rates pas,
hein »?!. L'enjeu est crucial pour lui, son Aïd doit au moins
concurrencer celui de ses frères, là-bas, au bled tunisien. Son
honneur, il l'a confié à ma science. À ma science de blanc.
L’homme
au couteau m'attend. Le petit peuple des croyants s’écartent pour
que je filme.
Je
tourne l’Aïd, au Pileu. À Palaiseau.
L’épicier
fait trébucher le mouton vers l’avant. L’homme au couteau
saisit une oreille et, inclinant sa tête au-dessus d’une cuvette
vert printemps, lui tranche la gorge. Le mouton gueule un bon coup.
Puis, rien. L’Opinel a parlé franchement. On se félicite mais
aucun youyou.
Le
boucher amène le mouton saigné. Avant de le suspendre au chevalet,
il met en marche un compresseur. Ça pue le gasoil. Il introduit un
tuyau dans le remerciement à Dieu qui se met à gongler comme une baudruche. La toison décollée des muscles, il peut à présent être
entaillé, éviscérer.
Outre
cet ovin dont on lie les pattes au chevalet, je vois dans mon
œilleton les femmes accroupies qui attendent, chacune avec sa
bassine colorée, que le sacrificateur ouvre l’animal. Leur œil
est mauvais pour l’opérateur qui manie la caméra noire.
Pourquoi filme-t-il, le Français? D'un coup sûr, le boucher
éventre son remerciement. Un peu de sang se mélange aux
eaux usées et à l’huile de moteur qui stagnent là.
Dans
ce box, j'en aurai la confirmation chez Neyrac- Film plus tard, se
produit une merveille inespérée : les boyaux tièdes, dans l’air
froid de ce matin d’Aïd el Kébir, fument abondamment. Les
volutes aussi inattendues que vives dans ce contre-jour d’octobre
s’enroulèrent autour du boucher affairé. Une pure bénédiction
de cinéaste. Cet extérieur-jour, pourtant avare, m'offre une
qualité de lumière irréelle qu’aucun studio n’aurait pu me
fournir. La nature même me porte ! Ce même froid, qui ne faisait
qu'engourdir les mains l’instant d’avant, fait naître
maintenant ces vapeurs inédites. Mêlant, jusqu’à un point
rare, le trivial et le sacré, chaque mouvement atteint au sublime.
Des plus innocents aux plus impitoyables, tous acquièrent de la
majesté.
Les
femmes se sont mises à laver les organes comme prévu, et personne
ne prête plus attention à moi. Je m'autorise à faire des gros
plans sur ces gens d’un autre monde, d’une autre époque.
Qu’importe les cuvettes bariolées achetées chez Leclerc. Tant
mieux, même. Le seau en plastoc remplace la cruche de terre cuite.
Au-delà de la banalité, tous les gestes rejoignent une histoire
extraordinaire, ample et dont tous ces hommes et ces femmes sont les
héritiers à leur insu. Tous, dans l’accomplissement de ces
gestes ancestraux, participent d’une antiquité plus éternelle
que révolue. Et le plus fort est que ce ballet se crée sur le
ciment d’une cour, s’exécute derrière un portillon
apparemment sans histoire, ici, au Pileu, pour le plus
improbable péplum.
Aujourd'hui, on tapote à la verrière de ma cabane. C'est mon couscous mouton. Servi dans une assiette Arcopal protégée par papier aluminium. Leur fille de douze ans, jolie, sera sexy dans quelques mois.
Aujourd'hui, on tapote à la verrière de ma cabane. C'est mon couscous mouton. Servi dans une assiette Arcopal protégée par papier aluminium. Leur fille de douze ans, jolie, sera sexy dans quelques mois.
JF
Dalle
Visiblement l'auteur a très peu rencontré de maghrébins au cour de sa pauvre existence qu'il fantasme derrière son ordinateur. Une visite de voisinage chez Omar Vaseline (connotation à 2 sous) "l'arabe du coin" expression qui signifierait presque qu'"arabe" c'est un métier...et nous sentons tout de suite une vive tension et un danger palpable tel un reporter en immersion dans les camps d'entrainement du Jihad. Un texte qui aurait pu être écrit sous la 4ème république, pleine de clichés et surtout d'irrespect. Pitoyable du début jusqu'à la fin et fait rire beaucoup de monde en ce moment... L'auteur joue la condescendance et l'intelligence supérieure avec "sa science de blanc", il ne se rend pas compte qu'il est la risée de ses lecteurs et précisons lecteurs de toutes origines confondues . Et si nous nous cotisions pour lui payer un voyage low cost au pays des égorgeurs ?
RépondreSupprimerBonjour "Anonyme Sab Sab" ;o)
RépondreSupprimerComme je suis pas chien, j'ai publié ton com.
Je deviens ton "combat". Fichtre !