Il
y a cette manière de travailler, d'aimer, de vivre, cette manière
qui donne l'impression de dévorer le monde alors qu'il s'agit juste
de fuite, qu'il est juste question d'éviter de penser comme d'autres
évitent le dialogue, il y a cette manière de se jeter d'une chose à
l'autre et qui pourrait passer pour la voracité d'un ogre alors
qu'il s'agit de courir à travers une foret et d'éviter les
branches, d'éviter de tomber, de sentir approcher le poursuivant et
quand tu jettes un œil furtif par-dessus ton épaule le poursuivant
c'est toi.
Il
y a les digues qu'on construit. La pile de magazines aux chiottes, le
lecteur mp3 pour le train et pour déambuler dans les rayons
d'Intermarché, les livres à lire pendant les repas, France Culture
pour dormir, les sites pornos pendant les pauses. Il y a toutes les
stratégies possibles pour ne pas se retrouver en tête-à-tête avec
soi-même. Il y a cette peur oppressante de la solitude, cette peur
de savoir ce qui se trame au fond de soi. Il y a toutes ces années
passées à vivre avec des gens qu'on aime pas parce qu'il est moins
effrayant de vivre avec eux qu'on n'aime pas que de vivre avec soi
qu'on ne veut pas connaître, soi, rien que soi, soi tout seul, mais
de quoi as-tu peur, qu'y a-t-il de si terrible ? Pourquoi préfères-tu
rester marié alors qu'il n'y a plus d'amour ? Qu'y-t-il de rassurant
là-dedans ? Pourquoi est-ce que je trouve ma gueule bizarre quand je
la croise dans la glace ou sur une vidéo, ma voix bizarre quand je
l'entends ? Pourquoi seul trop longtemps me prend une sorte de
dérèglement, une panique ? Pourquoi seul trop longtemps mes repères
s'effritent ? Pourquoi cette peur de perdre la raison et devenir un
animal ? Quelle protection m'offre la présence humaine ? Protection
contre quoi ? Pourquoi ai-je cette peur que si je reste seul trop
longtemps des barrages vont céder, des barrages qui me protègent de
choses innommables ? Pourquoi est-ce que j'éprouve ça ? Suis-je le
seul à l'éprouver ?
Christophe Siébert
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