jeudi 20 juin 2013

PARIS


Ils crurent que le niveau des océans grimpait… Civilisations anéanties par les océans laiteux, chauds, dilatés, salivant la terre, la lippant de son sel d’une langue ronde, déposé, retiré par le clapotis des eaux tranquilles, le sable mâchouillé comme le noyau d’un fruit, longuement, avec la langue, sensuellement… Que cela aurait été beau ! Quelle grandeur ! L’homme, mât raide, bandant devant l’inéluctable ! L’homme attendant son Eden dans la joie parfaite d’une branlée. Erreur ! Messieurs les docteurs et les théologiens du Climax… Erreur !

Au point zéro s’érigeait l’Everest occidental. L’Europe bandait mou et plaçait son bonheur dans ses écluses, ses ports à putes, dans ses digues fortes de sacs de fric et des périphériques si hauts que sa Tour Eiffel n’avait plus rien d’un sémaphore… La pauvre tour brandissait à peine, par-dessus l’horizon, un phallus corrodé par l’acide de gros cumulus violacés, pas même une croix, la pique en berne d’une tombe bruyante, grouillante. L’onde des morts s’était nourrie de la terre, et l’avait dévoré plus profondément que la pointe des racines, soulevant les tubercules dans de lancinantes berceuses, les nerfs tels que des anémones aussitôt reposés contre la butée de béton, avec les fleurs arrachées et les vers, la chevelure fourragée et les doigts blêmes d’un adolescent sevré d’orgasmes. L’air avait creusé si profondément en la France que Paris semblait le dernier sous-sol d’un enfer médiocre, les gigantesques pieds de son œuvre d’acier mouvant dans d’antiques boues, immense bal clinquant, feux de Bengale illuminés avant le rien.

A moins trois cent vingt-quatre mètres sous le niveau de la mer, était Paris, ses travailleurs et ses métros avançant au souffle méphitique du magma, la semelle collante, la rame molle, le cœur pris d’une langueur tropicale. Dans leur bauge à moustiques, le doigt de pisse dans lequel ils pataugeaient n’était que le sang impie gisquant de la roche stérile, celui d’anciens soldats de vieilles guerres, une eau d’ennui brassée par la roue des moulins des plages de leur enfance. Dans les plis de cette couche quaternaire, pétaradant de perceuses à percussion et de marteaux piqueurs, suants des fumées aux odeurs de poudre, des diamantaires escogriffes rognaient sur l’os, la poussière de l’os, et bientôt, plus que les seuls rêves de l’os. Outres percées de vides, phobiques de perdre dans le vide leur seule faim d’air, leur soif d’air, leur envie d’air, leurs suaires claquaient nerveusement quand s’engouffraient les vents trop forts – c’était là le maelstrom de Paris : une seule petite tempête, une mousson solide du ciel et tout aurait été emporté par le fond.

Plus de bruit. Une odeur d’iode s’évente, spirales d’écume autour des faix du soleil. Le ciel est pur. Un continent blanc de déchets frémit dans le roulis de la mer calme. A l’intérieur de l’hexagone cerclé de goudron débordant le corail, où s’épanouissent les écosystèmes marins, émergent les lambeaux méconnaissables de la France éternelle ; c’est accompagné du chant d’une meute dolphine, qu’attend à la surface de l’eau plate, un phallus en rouille, pas même une croix, une pique en berne… C’est un désir de crevaison, même à travers l’absurde, la frustration d’une vie que garde le corps d’un mort : celui d’accrocher le plastique moribond de l’arche pneumatique des survivants, pour le crever… Le crever !


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