Ils
crurent que le niveau des océans grimpait… Civilisations anéanties
par les océans laiteux, chauds, dilatés, salivant la terre, la
lippant de son sel d’une langue ronde, déposé, retiré par le
clapotis des eaux tranquilles, le sable mâchouillé comme le noyau
d’un fruit, longuement, avec la langue, sensuellement… Que cela
aurait été beau ! Quelle grandeur ! L’homme, mât raide, bandant
devant l’inéluctable ! L’homme attendant son Eden dans la joie
parfaite d’une branlée. Erreur ! Messieurs les docteurs et les
théologiens du Climax… Erreur !
Au
point zéro s’érigeait l’Everest occidental. L’Europe bandait
mou et plaçait son bonheur dans ses écluses, ses ports à putes,
dans ses digues fortes de sacs de fric et des périphériques si
hauts que sa Tour Eiffel n’avait plus rien d’un sémaphore… La
pauvre tour brandissait à peine, par-dessus l’horizon, un phallus
corrodé par l’acide de gros cumulus violacés, pas même une
croix, la pique en berne d’une tombe bruyante, grouillante. L’onde
des morts s’était nourrie de la terre, et l’avait dévoré plus
profondément que la pointe des racines, soulevant les tubercules
dans de lancinantes berceuses, les nerfs tels que des anémones
aussitôt reposés contre la butée de béton, avec les fleurs
arrachées et les vers, la chevelure fourragée et les doigts blêmes
d’un adolescent sevré d’orgasmes. L’air avait creusé si
profondément en la France que Paris semblait le dernier sous-sol
d’un enfer médiocre, les gigantesques pieds de son œuvre d’acier
mouvant dans d’antiques boues, immense bal clinquant, feux de
Bengale illuminés avant le rien.
A
moins trois cent vingt-quatre mètres sous le niveau de la mer, était
Paris, ses travailleurs et ses métros avançant au souffle
méphitique du magma, la semelle collante, la rame molle, le cœur
pris d’une langueur tropicale. Dans leur bauge à moustiques, le
doigt de pisse dans lequel ils pataugeaient n’était que le sang
impie gisquant de la roche stérile, celui d’anciens soldats de
vieilles guerres, une eau d’ennui brassée par la roue des moulins
des plages de leur enfance. Dans les plis de cette couche
quaternaire, pétaradant de perceuses à percussion et de marteaux
piqueurs, suants des fumées aux odeurs de poudre, des diamantaires
escogriffes rognaient sur l’os, la poussière de l’os, et
bientôt, plus que les seuls rêves de l’os. Outres percées de
vides, phobiques de perdre dans le vide leur seule faim d’air, leur
soif d’air, leur envie d’air, leurs suaires claquaient
nerveusement quand s’engouffraient les vents trop forts – c’était
là le maelstrom de Paris : une seule petite tempête, une mousson
solide du ciel et tout aurait été emporté par le fond.
Plus
de bruit. Une odeur d’iode s’évente, spirales d’écume autour
des faix du soleil. Le ciel est pur. Un continent blanc de déchets
frémit dans le roulis de la mer calme. A l’intérieur de
l’hexagone cerclé de goudron débordant le corail, où
s’épanouissent les écosystèmes marins, émergent les lambeaux
méconnaissables de la France éternelle ; c’est accompagné du
chant d’une meute dolphine, qu’attend à la surface de l’eau
plate, un phallus en rouille, pas même une croix, une pique en
berne… C’est un désir de crevaison, même à travers l’absurde,
la frustration d’une vie que garde le corps d’un mort : celui
d’accrocher le plastique moribond de l’arche pneumatique des
survivants, pour le crever… Le crever !
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