Ce
soir, je ne veux pas sortir. Ce soir, je ne veux pas me noyer dans la
nuit des autres.
Je
voudrais rencontrer des gens qui n'existent pas pour que ça ne
laisse pas de traces.
Quand
j'étais petite, la nuit me fascinait, puis elle m'a fait peur,
longtemps, puis je l'ai adorée. J'ai adoré m'y perdre alors j'ai
compris pourquoi elle me faisait si peur.
L'euphorie
de la nuit m'a lassée parce qu'elle me laisse toujours seule le
jour, parce que je m'y suis vautrée, fracassée, blessée,
pulvérisée.
Le
jour, on ramasse les miettes de tout ce qu'on jette la nuit comme de
la poussière d'étoiles. Mais tout reste poussière, poussiéreux.
Dans
le ventre, j'ai toutes ces étoiles hystériques qui ne trouvent pas
leur ciel.
J'en
ai craché des étoiles pourries, des étoiles divines, des étoiles
acrobates, me laissant muette au lendemain, incapable de remettre la
main dessus, incapable de contrôler ce qui sort de moi.
J'ai
construit ma vie sur un immense chagrin que j'ai essayé d'assommer à
coups d'éclats de rire.
J'ai
voulu rire plus fort que tout le monde en espérant qu'au passage je
pourrais gober cette putain de mélancolie. J'ai menti. Je me suis
menti. Je me suis fait croire à des lendemains chantants. Je me suis
mise en haut d'une tour pour me jeter sans filets. J'ai la tête dure
mais le cœur gros.
Et
je pense à toi mon vieux frère, toi qui a le même vibrato. Tu es
toujours là mais je n'entends plus ta voix. Je voudrais retrouver la
fougue de nos 12 ans, quand on partait au bout de la rue en étant
persuadés d'y trouver un autre continent. On s'est vite cassé les
dents, comme dans Truman show.
On a vite compris qu'au bout de la rue beh y'avait une juste une
autre rue, toute aussi banale que la précédente. Comme les gens :
On croit trouver des perles puis on en fait des colliers, tous
identiques et tous en toc !
Mais
toi t'es pas en toc, c'est juste le monde qui nous entoure qui est en
carton pâte.
Si
tu savais comme parfois j'aimerais venir te prendre par la main et te
montrer qu'au bout de la rue y'a pas grand chose mais y'a toujours
moi, prête à te faire rire et à voler la nuit pour pas qu'elle
nous mange...
Élodie Da Silva (auteur de Mauvais Potage, recueil paru aux éd. Lunatique, 2012)
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